Aïkido : peu d’articles universitaires

Les études universitaires et/ou scientifiques sur l’aïkido sont rares. Raison de plus pour se réjouir de la publication de l’étude intitulée Aikido Experience and its Relation to Mindfulness: A Two-Part Study [1] soit « La pratique de l’aïkido et sa relation avec la pleine conscience : une étude en deux parties ».

L’étude débute par deux constats :

  1. Il semble y avoir peu de recherches avec des données empiriques sur les effets bénéfiques que pourrait avoir la pratique de l’aïkido alors que plusieurs auteurs les signalent comme possibles ; [2]
  2. Plusieurs auteurs signalent que l’aïkido est une « méditation en mouvement » (Saotome Sensei, par exemple).[3]

Il est donc étonnant que ce domaine n’ait pas été exploré plus tôt. L’étude se propose d’explorer l’hypothèse suivante : il y a une relation entre le niveau d’un pratiquant en aïkido et son score de mindfulness.

Meditation, mindfulness et awareness

L’étude utilise :

  • 7 fois le mot meditation;
  • 27 fois le mot mindfulness ;
  • 14 fois le mot awareness.

Les nombreuses occurrences de ces mots dans le texte posent le problème de leur définition et de leur traduction. La différence entre meditation et mindfulness est discuté quasiment depuis 2 millénaires, ce n’est donc certainement pas ici que le débat sera tranché. L’étude d’ailleurs se garde bien d’en donner une définition précise mais cite des définitions proposées par d’autres auteurs dont celle-ci pour mindfulness : « état d’attention bienveillante de tout ce qui apparaît dans notre esprit » (Jon Kabat-Zinn). La traduction française la plus utilisée pour le mot mindfulness est « pleine conscience ». En voici une définition donnée par Christophe André : [4]

La pleine conscience est la qualité de conscience qui émerge lorsqu’on tourne intentionnellement son esprit vers le moment présent. C’est l’attention portée à l’expérience vécue et éprouvée, sans filtre (on accepte ce qui vient), sans jugement (on ne décide pas si c’est bien ou mal, désirable ou non), sans attente (on ne cherche pas quelque chose de précis).

La pleine conscience est une des dimensions possibles de la méditation. On parle ainsi de méditation de pleine conscience mais on peut faire de la méditation autrement. C’est une pratique intentionnelle portée sur l’attention. C’est aussi ici une compétence que l’on pourrait traduire par capacité à soutenir l’attention, une forme de concentration donc. C’est ce qui rend possible les différents outils de mesure utilisés dans l’étude (voir plus loin).

Awareness peut être traduit par « prise de conscience » et même par « augmentation de la prise de conscience ». Il existe en français un mot un peu complexe qui rend bien cette idée, « conscientisation : donner la conscience de, faire prendre conscience de quelque chose à quelqu’un ». [5] Awareness est donc plutôt le résultat d’une pratique qui est le mindfulness.

Historiquement la méditation et le mindfulness sont fortement liés à des aspects de spiritualité pour ne pas dire aux religions (hindouisme, bouddhisme, taoïsme, zen, etc.). Dans les années 80, plusieurs chercheurs ont utilisé la pratique de mindfulness pour créer des méthodes de méditation dans un cadre thérapeutique ou psychologique sans référence à la religion. Une des plus connus est la MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction ou Réduction du stress basée sur la pleine conscience). Cette méthode a été la première à avoir été codifiée et introduite dans le champ de la médecine par le psychologue américain Jon Kabat-Zinn. [6]

Depuis, de nombreuses autres méthodes se rattachant au mindfulness ont vu le jour : MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy ou Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience), DBT (Dialectical Behavior Therapy ou Thérapie comportementale dialectique), Méthode Vittoz, OFT (Open Focus Therapy ou Thérapie de l’ouverture attentionnelle), etc.

Pour le pratiquant d’aïkido, même débutant, l’amélioration de cette « qualité de conscience » n’a rien de surprenant. Lors de sa pratique, il est amené à « faire attention », à « prendre conscience » en permanence : de son attitude globale, physique et mentale, de la position de son buste, de la position de ses mains par rapport à ses hanches, de la coordination entre le haut et le bas de son corps, du poids de son corps, du relâchement au niveau des épaules, etc. Une fois « réglé » le problème de SON attitude, il faut s’occuper de la relation/connexion avec le partenaire : la distance, le timing, la rencontre avec le partenaire, l’évolution de la  relation, etc.

L’étude

Partie 1

La 1ère partie de l’étude consiste à mesurer et à comparer le score de mindfulness de différents pratiquants d’aïkido et de personnes ne pratiquant pas et n’ayant pas d’expérience en art martial.

Participants : 159 participants aïkidokas (111 hommes, 48 femmes) dont 53 (47 hommes, 6 femmes)  étaient au moins 1er dan et 86 (60 hommes, 26 femmes) étaient kyu. Groupe de contrôle : 20 participants (4 hommes, 16 femmes (NdR : étrange qu’ils n’aient pas respecté le même rapport que pour les pratiquants) étudiants en psychologie et sans expérience en aïkido ou dans un autre art martial.

L’étude utilise deux outils empiriques de mesure de mindfulness, ce sont des questionnaires d’évaluation sur la base de réponses que font les participants à un questionnaire :

  1. Kentucky Inventory of Mindfulness Skills (KIMS)[7]
  2. Mindfulness Attention Awareness Scale (MAAS). [8]

Il en existe d’autres, voir par exemple : The Assessment of Mindfulness with Self-Report Measures: Existing Scales and Open Issues[9]

Voici le tableau des résultats :

Aikido et mindfulness résultats étude 1

SD (standard deviation) et M (mean) sont deux termes statistiques

Les résultats des deux outils (KIMS et MAAS) sont concordants et donnent un résultat assez attendu encore fallait-il le démontrer. Les pratiquants kyu ont, sur les deux outils, un score de mindfulness significativement plus élevé que les participants du groupe de contrôle. Les pratiquants dan ont, sur les deux outils, un score de mindfulness significativement plus élevé que les deux autres groupes. L’hypothèse de relation entre le niveau en aïkido et le score de mindfulness est donc démontrée.

Partie 2

La 2e partie de l’étude consiste à mesurer et à comparer le score de mindfulness de débutants en aïkido et de personnes ne pratiquant pas un art martial mais cette fois-ci la mesure est effectuée à plusieurs reprises sur une période de temps de 9 mois (étude longitudinale).

Participants : 12 débutants en aïkido sans expérience dans les arts martiaux (9 hommes, 3 femmes). Groupe de contrôle : 20 participants (7 hommes, 13 femmes) étudiants en psychologie sans expérience en aïkido ou dans un autre art martial.

Les deux groupes sont interrogés avec les 2 outils (KIMS et MAAS) après chaque passage de kyu des débutants en aïkido : début de la pratique (0 mois), le 2e mois (après le début), le 5e mois, le 9e mois.

Voici le tableau des résultats :

Aïkido et Mindfulness étude 2

Là aussi, les résultats des deux outils (KIMS et MAAS) sont concordants. Les pratiquants débutants voient leur score de mindfulness progresser alors que ce n’est pas le cas des participants du groupe de contrôle.

Le résultat est intéressant car il démontre que les bénéfices (augmentation de la pleine conscience) sont obtenus dès le début de la pratique sans avoir besoin d’atteindre un niveau élevé d’expertise et donc sans avoir des années de pratique en aïkido.

Suite

Cette première étude en deux parties a eu une suite en 2015 : Differences of novice to black belt Aikido practitioners in mindfulness: A longitudinal study [10] où il s’agissait de suivre 5 débutants en aïkido (4 hommes, 1 femme) pendant 5 ans jusqu’à la ceinture noire shodan et de mesurer leur score de mindfulness à chaque passage de grade (kyu et shodan). Il est rare de pouvoir faire une étude sur une aussi longue période de temps. Contrepartie : le nombre de pratiquants suivis est faible ce qui pose question sur la validité des résultats.

figure3

figure4

Que l’évaluation soit faite avec le KIMS ou le MAAS, le résultat est cohérent avec la première étude, le score de mindfulness augmente globalement avec le grade et donc avec la durée de pratique de l’aïkido.

Des questions à « méditer »

Les études ci-dessus ont posé comme hypothèse que c’est la pratique de l’aïkido qui faisait progresser la capacité de pleine conscience. C’est donc intrinsèque à la pratique de cette discipline. Mais les auteurs ne se sont pas interrogés sur les conditions de  pratique. En particulier, le ou les enseignants peuvent-ils influer, par exemple en donnant des consignes particulières ? Cela changerait il les scores ? Dans quel sens ? Parler, évoquer explicitement le mindfulness pourrait avoir d’autres conséquences comme donner du sens supplémentaire à la pratique, modifier la représentation de la discipline dans l’esprit du pratiquant. Des questions à « méditer ».


Notes

[1]  John Lothes II, Robert Hakan, and Karin Kassab (2013) AIKIDO EXPERIENCE AND ITS RELATION TO MINDFULNES: A TWO-PART STUDY. Perceptual and Motor Skills: Volume 116, Issue , pp. 30-39.
doi: 10.2466/22.23.PMS.116.1.30-39
https://libres.uncg.edu/ir/uncw/f/lothesj2013-1a.pdf

[2]  Fuller, J. R. (1988) Martial arts and psychological health. British Journal of Medical Psychology, 61, 317-328.

[3]  Saotome, M. (1986) Aikido and the harmony of nature. Boston: Shambhala.
Saotome, M. (1989) The principles of aikido. Boston: Shambhala
Dobson, T., & Miller, V. (1978) Aikido in everyday life: giving in to get your way. Berkeley, CA: North Atlantic Books.

[4]  Christophe André, La méditation de pleine conscience, Cerveau & Psycho – n° 41 – Septembre – octobre 2010 p.18 – 24
http://christopheandre.com/meditation_CerveauPsycho_2010.pdf

[5]  Voir une autre discussion sur la traduction
Chappuis Anne-Marie, « Essai sur le thème de l’awareness. Chronos et Kairos», Gestalt 2/2004 (no 27) , p. 13-22
URL : http://www.cairn.info/revue-gestalt-2004-2-page-13.htm

[6]  Kabat-Zinn, J. (1990) Full catastrophe living: using the wisdom of your body and mind to face stress, pain, and illness. New York: Delta.

[7]  http://www.mindfulness-extended.nl/content3/wp-content/uploads/2013/07/KIMS-E-EN.pdf

[8]  http://www.kirkwarrenbrown.vcu.edu/wp-content/scales/MAAS%20trait%20research-ready%20+%20intro.pdf

[9]  The Assessment of Mindfulness with Self-Report Measures: Existing Scales and Open Issues Claudia Bergomi, Wolfgang Tschacher, Zeno Kupper
https://www.academia.edu/5722422/The_Assessment_of_Mindfulness_with_Self-Report_Measures_Existing_Scales_and_Open_Issues

[10]  Diffusé sous licence CC – BY -NC – ND
Lothes, J., Hakan, R., & Mochrie, K. (2015). Differences of novice to black belt Aikido practitioners in mindfulness: A longitudinal study. International Journal of Wellbeing, 5(3), 63-71. doi:10.5502/ijw.v5i3.4, http://www.internationaljournalofwellbeing.org/index.php/ijow/article/viewFile/401/488


Pour aller plus loin

Alexandre Heeren Pierre Philippot, LES INTERVENTIONS BASÉES SUR LA PLEINE CONSCIENCE : UNE REVUE CONCEPTUELLE ET EMPIRIQUE/MINDFULNESS-BASED INTERVENTIONS : A CONCEPTUAL AND EMPIRICAL REVIEW
Revue québécoise de psychologie (2010), 31(3), 37-61
http://www.pascalhastir.com/index.php?option=com_content&view=article&id=60&Itemid=46

Thanh-Lan Ngô, Revue des effets de la méditation de pleine conscience sur la santé mentale et physique et sur ses mécanismes d’action, Santé mentale au Québec, vol. 38, n° 2, 2013, p. 19-34.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/1023988ar

« Démystifier la méditation »
LE MONDE – 21.10.2008 – Propos recueillis par Florence Evin
http://www.lemonde.fr/vous/article/2008/10/21/matthieu-ricard-demystifier-la-meditation_1109383_3238.html

Fourure Sophie, « Awareness et consciousness. », Gestalt 2/2004 (no 27) , p. 12-12
URL : www.cairn.info/revue-gestalt-2004-2-page-12.htm.
https://www.cairn.info/revue-gestalt-2004-2-page-12.htm